Je profite de la sortie de Dungeons & Dragons: Honor Among Thieves pour republier un article que j’avais écrit en 2006 au sujet du tristement célèbre premier film Dungeons & Dragons, celui avec Profion… ne faites pas comme si vous l’aviez oublié.
Gardez à l’esprit que cet article fut écrit à l’époque de D&D 3.5, bien avant la vague actuelle de popularité du JDR.
Ce qui suit n’a rien d’original : une partie de jeu de rôle c’est un peu comme un film qu’on se fait dans sa tête. Autour de la table on narre les actions des personnages, on décrit les paysages et les événements et tout cela prend forme dans nos imaginations. Quand une scène, voire une partie entière, nous a passionné on y repense comme on se repasserait nos moments préférés d’un long-métrage.
Le passage d’un univers de jeu sur grand écran semble donc être un processus assez logique, quoique rendu peu probable par le peu d’exposition dont jouit notre loisir. Attention je parle là de la transposition d’un jeu de rôle original en film, en laissant volontairement de côté les œuvres ayant inspiré à la fois le jeu et le cinéma, l’univers Marvel ou le Seigneur des Anneaux par exemple. Dans aucun de ces cas on ne peut supposer que l’existence d’un JDR ait eu la plus petite forme d’influence sur la décision de tourner un film. En général c’est plutôt l’inverse qui se produit.
Revenons à l’adaptation cinématographique d’un monde de jeu de rôle. Lorsque la chose se fit pour la première fois, en 2000, ce fut assez logiquement le plus connu des JDR qui s’y colla. Le film était sobrement intitulé Donjons & Dragons et transposait à l’écran les éléments fondamentaux d’une partie de D&D (j’y reviendrai). En février 2006 un deuxième film inspiré de D&D est arrivé sur nos écrans, sous le titre Donjons et Dragons, la puissance suprême. À nouveau un royaume en danger, une quête et des héros donjonesques au possible.
Pourquoi donc est-ce que je vous parle de tout cela ? Simplement parce que Donjons & Dragons, la puissance suprême vient de sortir en DVD, et que dans la foulée Aventi, le distributeur, édite un coffret regroupant les deux films.
Cette sortie vidéo me ramène à l’esprit des discussions qu’on avait eu, fin 2000, en sortant du cinéma où nous avions vu le premier film. On y était allé en bande et chacun défendait son opinion. Étant du genre à chercher le bon côté des choses, j’étais arrivé à une théorie dont je reste convaincu qu’elle est valide : Selon moi, le premier film est exactement ce que j’évoquais au début de cet article. C’est la matérialisation à l’écran de ce qui se passe dans l’esprit d’un groupe de joueurs en pleine partie. Ce n’est pas juste une aventure med-fan s’inspirant de D&D, c’est bel et bien une séance de Donj’ à laquelle vous assistez. Simplement, vous la voyez par le biais de l’imaginaire collectif de ses protagonistes.
Vous n’y croyez pas ? Pourtant il suffit d’observer le film avec un peu d’attention. Vous verrez alors régulièrement le voile se lever et vous réaliserez ce qui est en train de se passer autour de la table de jeu. Vous avez toujours des doutes ? Voilà quelques exemples. Attention ça spoile probablement des événements du film.
Prenez les personnages. Il y a des archétypes qui ne trompent pas :
Justin, qui joue Ridley Freeborn le voleur, est probablement le petit frère chéri du MJ. Il est la plupart du temps au centre de l’action et même s’il ne semble pas plus compétent que les autres, c’est lui qui fait avancer l’histoire.
Marlon, qui joue Snail, l’autre voleur, fait partie de ces joueurs agaçants qui ne peuvent pas laisser passer deux minutes sans lâcher une blague ou faire une gaffe. Vous réaliserez bientôt qu’il bat d’ailleurs des records en la matière.
Zoe, dont le personnage est Marina Pretensa la magicienne, a tout l’air d’une joueuse régulière qui s’amuse beaucoup en faisant du roleplay et qui, mine de rien, profite de l’occasion pour draguer Justin, parce que hors des tables de JDR il n’est pas si attentif que cela à ses avances.
Ces trois-là constituent le groupe de joueurs avec lesquels le MJ pensait faire sa partie. Cependant il y a eux deux imprévus :
Lee, un pote un peu lourdingue du MJ, se pointe après le début de la partie. Il veut jouer, et de préférence son nain guerrier, Elwood Gutworthy. De toute façon, il ne joue que ce personnage. Qu’à cela ne tienne, le MJ est une bonne pâte et introduit le personnage de Lee à la va-vite, au coin d’une rue, dans une scène à peine crédible. Et voilà le nain qui suit le groupe comme si de rien n’était.
Kirsten, la copine du MJ veut jouer elle aussi. C’est la première fois et elle insiste. On vient de voir que le MJ est plutôt un gars sympa. Qui plus est, comment dire non à sa copine. Résultat il lui refile la fiche d’un PNJ surpuissant par rapport aux personnages : la rôdeuse Norda. À elle seule elle pourrait plier le scénario mais, heureusement, la joueuse n’en est pas consciente et passe son temps à ne faire presque rien. Il suffit de voir le degré avancé de laconisme dont elle fait preuve pour s’en convaincre. Il faut en général l’intervention salvatrice du MJ pour lui rappeler que son personnage est capable de grandes prouesses :
— Kirsten, je te rappelle que ton personnage sait faire ça…
— Ah oui tiens… je le fais alors !
La scène à la sortie de la caverne est très révélatrice à ce niveau là.
Tiens, puisqu’on parle de la rôdeuse elfe. À deux reprises pendant la partie Marlon drague le personnage de Kirsten. Connaissant le joueur, on peut se douter qu’il fait ça pour s’amuser. Cependant le MJ, d’habitude plutôt cool, le prend très mal. Résultat, le personnage de Marlon se fait trucider par le grand méchant. Marlon se retrouve à la cuisine à finir les parts de pizza pendant que ses copains continuent la partie.
Il y a plein d’autres détails qui parlent en faveur de ma théorie. Je ne vais pas les énumérer tous, il faudrait pour cela que je revois le film en détail et que je les note. Mais plus que toutes les autres scènes, la toute dernière est peut-être la plus significative. La rôdeuse déclare :
— Ne doutez pas de vos dons, votre ami vous attend.
Et après cela tous les personnages disparaissent dans un grand éclat de lumière. Si ça ce n’est pas une fin de partie de JDR je ne sais pas ce qu’il vous faut ! Les joueurs se lèvent de la table, quittant ainsi le monde imaginaire de leur partie et s’en vont rejoindre Marlon dans la cuisine, en espérant qu’il leur a laissé de la pizza.
Avant de regarder Donjons et Dragons, la puissance suprême, je me demandais si ma théorie pourrait s’appliquer à ce nouvel opus. La réponse est non. Cependant je lui ai quand même trouvé un élément de comparaison avec l’univers rôliste. Regarder ce film, c’est un peu comme quand, dans une boutique, un inconnu vous raconte sa partie de D&D de la veille au soir…