Saint Thomas contre les Spartiates

Préambule : ce qui suit est la réécriture d’un article que j’avais posté  il y a cinq ans, sur un blog précédent.

Devant un film, on est comme Saint Thomas, on croit ce qu’on voit. D’instinct on interprète les images comme la représentation d’une réalité objective, et ça marche d’autant mieux quand le film a une apparence “réaliste”.

C’est sûrement pour cela qu’une incohérence ou un faux raccord peuvent nous “sortir du film”, avec plus ou moins de facilité selon l’intensité de notre suspension consentie de l’incrédulité.

Il y aurait toute une discussion à avoir sur le “réalisme” que beaucoup trop de films mettent en avant comme un gage de qualité, mais c’est un autre sujet. J’ai surtout envie de parler de films qui exploitent notre confiance implicite dans les images pour servir leur narration et nous surprendre.

ATTENTION – Ça va spoiler !

Certains films nous balancent sans prévenir des images qui ne représentent pas la réalité intradiégétique objective mais un mensonge, ou une perception déformée de cette réalité.

Si je vous dis Usual Suspects, Fight Club ou Perfect Blue, vous voyez de quoi je veux parler, n’est ce pas ?

Usual Suspects est très représentatif, tellement sa majeure partie n’est que la mise en images d’un mensonge raconté par qui-vous-savez à ses interlocuteurs. À la fin du film, on se sent aussi blousé que les flics, parce qu’on a cru à l’histoire. D’une certaine manière, le personnage ment tellement bien, que même la pellicule y croit. Mais assez simplement, Usual Suspect pousse plus loin que d’habitude les mécanismes d’un film d’arnaque. C’est parce qu’on se croit juste dans un film de gangsters qu’on se laisse aussi bien prendre au piège et manipuler.

Dans Fight Club ou Perfect Blue, ce détournement des images donne corps à la folie ou à la perte de repère d’un personnage. La scène où Mima se réveille en rafale dans Perfect Blue m’avait bien retourné la tête.

Dans le genre on pourrait aussi citer Memento ou le 6ème sens, mais le film dont je voudrais parler est plus inattendu. Il s’agit de 300.

Un peu à la façon de Usual Suspects, 300 met en image une histoire racontée par un de ses personnages, mais attend la fin pour nous révéler qu’il s’agit d’un “récit dans le récit”.

300 ne se déroule pas aux Thermopyles en -480 mais juste avant la bataille de Platées, un an après. Le seul survivant des Thermopyles raconte à ses potes la bataille héroïque des spartiates face à l’armée innombrable de Xerxès, ainsi que la lutte tout aussi héroïque de la reine de Sparte face aux manigances politiques des Perses. Il n’était pas à Sparte à ce moment ? Qu’à cela ne tienne, il a quand même tous les détails, même des trucs intimes… parce qu’il pipote.

Il fait ça pour galvaniser les soldats avant le combat. Dans de telles circonstances, est-ce que le mec va faire un rapport circonstancié et certainement démoralisant de la mort des 300, ou est-ce qu’il va transformer ça en fresque épique pour bien booster l’adrénaline de toute sa bande ? Bien sûr qu’il va en faire des caisses. Il transforme Léonidas en un ptin de super-héros et déshumanise l’ennemi au maximum. C’est de la propagande pure et dure, pas subtile en plus (on parle de Miller et Snyder).

J’apprécie cette grille de lecture. Elle me permet de prendre du recul avec le récit et d’apprécier son aspect mythologique/irréaliste, tout en gardant à l’esprit son côté propagandiste relou qui devient ainsi plus intradiégétique qu’autre chose.

Cependant, dans Usual Suspects le retournement de situation est l’élément essentiel du récit, comme pour le 6ème sens. Dans le cas de 300 je ne suis pas convaincu que Snyder ait pensé le final comme un encouragement à relativiser le propos du film.

Au final, était-ce utile de ressasser ce sujet vieux de cinq ans ? Je pense. Cela a alimenté, au moins un peu, mes réflexions sur la fiction, la mythologie et le cinéma.